Gustave Flaubert La tentation de Saint Antoine
Dès le début des années 2000, oeuvres exécutées d'après le livre de Gustave Flaubert, "La tentation de Saint-Antoine.
Cette partie du blog présente les peintures à l'huile faite sur ce sujet avec une courte description du contexte littéraire suivie des dialogues écrits par Flaubert intercalés par les dessins et gouaches qui ont précédé cette peinture.
2002 L'ombre du diable Huile sur toile 150x200 cms |
Le chapitre I de "La tentation de Saint Antoine" commence par un long monologue de l'ermite où s'exprime toute la mélancolie qui l'accable après de longues années passées en privations, dans une vie qui lui apparait maintenant comme désespérément monotone.
Quelques premières hallucinations surviennent en fin de ce passage et le second chapitre commence enfin avec, d'emblée l'apparition du Diable entouré des Sept Péchés Capitaux.
Alors une grande
ombre, plus subtile qu’une ombre naturelle, et que d’autres ombres festonnent
le long de ses bords, se marque sur la terre.
21 9 21 Antoine endormi Crayons de couleurs 17x21 cms |
C’est le Diable, accoudé contre le toit de la
cabane et portant sous ses deux ailes, - comme une chauve-souris gigantesque
qui allaiterait ses petits, - les Sept Péchés Capitaux, dont les têtes
grimaçantes se laissent entrevoir confusément.
2 9 00 Antoine endormi Crayons de couleurs 17x21 cms |
Antoine, les yeux toujours fermés, jouit de
son inaction ; et il étale ses membres sous la natte.
Elle lui semble douce, de plus en plus, - si
bien qu’elle se rembourre, elle se hausse, elle devient un lit, le lit une
chaloupe ; de l’eau clapote contre ses flancs.
A droite et à gauche, s’élèvent deux langues
de terre noire, que dominent des champs cultivés, avec un sycomore, de place en
place. Un bruit de grelots, de tambours et de chanteurs retentit au loin. Ce
sont des gens qui s’en vont à Canope dormir sur le temple de Sérapis pour avoir
des songes. Antoine sait cela ; - et il glisse, poussé par le vent, entre
les deux berges du canal. Les feuilles de papyrus et les fleurs rouges de
nymphéas, plus grandes qu’un homme, se penchent sur lui. Il est étendu au fond
de la barque ; un aviron, à l’arrière, traîne dans l’eau. De temps en
temps un souffle tiède arrive, et les roseaux minces s’entrechoquent. Le
murmure des petites vagues diminue. Un assoupissement le prend. Il songe qu’il
est un solitaire d’Egypte.
Alors il se relève en sursaut.
Ai-je
rêvé ?… c’est si net que j’en
doute. La langue me brûle ! J’ai soif.
Il entre dans sa cabane, et tâte au hasard,
partout.
Le sol
est humide !... Est-ce qu’il a plu ? Tiens ! des morceaux ! ma cruche brisée !...
mais l’outre ?
Il la trouve
Vide ! complètement vide !
Pour
descendre jusqu’au fleuve, il me faudrait trois heures au moins, et la nuit est
si profonde que je n’y verrais pas à me conduire. Mes entrailles se tordent. Où
est le pain ?
Après avoir cherché longtemps, il ramasse une
croûte moins grosse qu’un œuf.
Comment ? Les chacals l’auront
pris ? Ah, malédiction !
Et de fureur, il jette le pain par terre.
A peine ce geste est-il fait qu’une table est
là, couverte de toutes les choses bonnes à manger.
La nappe de byssus, striée comme les
bandelettes des sphinx, produit d’elle-même des ondulations lumineuses. Il y a
dessus d’énormes quartiers de viandes rouges, de grands poissons, des oiseaux
avec leurs plumes, des quadrupèdes avec leurs poils, des fruits d’une
coloration presque humaine ; et des morceaux de glace blanche et des
buires de cristal violet se renvoient des feux. Antoine distingue au milieu de
la table un sanglier fumant par tous les pores, les pattes sous le ventre, les
yeux à demi clos ; - et l’idée de pouvoir manger cette bête formidable le
réjouit extrêmement. Puis, ce sont des choses qu’il n’a jamais vues, des hachis
noirs, des gelées couleur d’or, des ragoûts où flottent des champignons comme
des nénuphars sur des étangs, des mousses si légères qu’elles ressemblent à des
nuages.
27 09 00 La gourmandise Crayons de couleurs 17x21 cms |
Et l’arôme de tout cela lui apporte l’odeur
salée de l’Océan, la fraîcheur des fontaines, le grand parfum des bois. Il
dilate ses narines tant qu’il peut ; il en bave ; il se dit qu’il en
a pour un an, pour dix ans, pour sa vie entière !
A mesure qu’il promène sur les mets ses yeux
écarquillés, d’autres s’accumulent, formant une pyramide dont les angles
s’écroulent. Les vins se mettent à couler, les poissons à palpiter, le sang
dans les plats bouillonne, la pulpe des fruits s’avance comme des lèvres
amoureuses ; et la table monte jusqu’à sa poitrine, jusqu’à son menton, -
ne portant qu’une seule assiette et qu’un seul pain, qui se trouvent juste en
face de lui.
Il va saisir le pain. D’autres pains se
présentent.
Pour
moi !... tous ! mais…
Antoine recule.
Au lieu
d’un qu’il y avait, en voilà !... C’est un miracle, alors, le même que fit
le Seigneur !...
Dans
quel but ? Et tout le reste n’est pas moins incompréhensible !
Ah ! démon, va-t’en ! va-t’en !
Il donne un coup de pied dans la table. Elle
disparaît.
Plus
rien ? – non !
Il respire largement.
Ah ! la tentation était forte. Mais comme
je m’en suis délivré !
Il relève la tête, et trébuche contre un objet
sonore.
Qu’est-ce donc ?
Antoine se baisse.
Tiens ! une coupe ! quelqu’un, en
voyageant, l’aura perdue. Rien d’extraordinaire…
Il mouille son doigt, et frotte.
Ça
reluit ! du métal ! Cependant, je ne distingue pas…
Il allume sa torche, et examine la coupe.
27 09 00 L'avarice Crayons de couleurs 17x21 cms |
27 09 00 La coupe Crayons de couleurs 17x21 cms |
Elle
est en argent, ornée d’ovules sur le bord, avec une médaille au fond.
C’est
une pièce de monnaie qui vaut… de sept à huit drachme ; pas
davantage ! N’importe ! je pourrais bien, avec cela, me procurer une
peau de brebis.
Un reflet de la torche éclaire la coupe.
Pas
possible ! en or ! oui !... tout en or !
Une autre pièce, plus grande, se trouve au
fond. Sous celle-ci, il en découvre plusieurs autres.
Mais
cela fait une somme… assez forte pour avoir trois bœufs… un petit champ !
La coupe est maintenant remplie de pièces
d’or.
Allons
donc ! cent esclaves, des soldats, une foule, de quoi acheter…
Les graduations de la bordure, se détachant,
forment un collier de perles.
Avec ce
joyau-là, on gagnerait même la femme de l’Empereur !
Dune secousse, Antoine fait glisser le collier
sur son poignet. Il tient la coupe de sa main gauche, et de son autre bras lève
la torche pour mieux l’éclairer. Comme l’eau qui ruisselle d’une vasque, il
s’épanche à flots continus, - de manière à faire un monticule sur le sable, -
des diamants, des escarboucles et des saphirs mêlés à de grandes pièces d’or,
portant des effigies de rois.
Comment ? comment ? des staters, des
cycles, des dariques, des aryandiques ! Alexandre, Démétrius, les
Ptolémées, César ! mais chacun d’eux n’en avait pas autant ! Rien
d’impossible ! plus de souffrance ! et ces rayons qui
m’éblouissent ! Ah ! mon cœur déborde ! comme c’est bon !
oui !...oui !...encore ! jamais assez ! J’aurais beau en
jeter à la mer continuellement, il m’en restera. Pourquoi en perdre ? Je
garderai tout ; sans le dire à personne ; je me ferai creuser dans le
roc une chambre qui sera couverte à l’intérieur de lames de bronze – et je
viendrai là, pour sentir les piles d’or s’enfoncer sous mes talons ;
j’y plongerai mes bras comme dans des
sacs de grain. Je veux m’en frotter le visage, me coucher dessus !
Il lâche la torche pour embrasser le tas ;
et tombe par terre sur la poitrine.
Il se relève. La pièce est entièrement vide.
Qu’ai-je fait ?
Si
j’étais mort pendant ce temps-là, c’était l’enfer ! l’enfer
irrévocable !
Il se relève. La place est entièrement vide.
Je suis
donc maudit ? Eh non ! c’est ma faute ! je me laisse prendre à
tous les pièges ! On n’est pas plus imbécile et plus infâme. Je voudrais me battre, ou plutôt
m’arracher de mon corps ! Il y a trop longtemps que je me contiens !
J’ai besoin de me venger, de frapper, de tuer ! c’est comme si j’avais dans
l’âme un troupeau de bêtes féroces. Je voudrais, à coups de hache, au milieu de
la foule… Ah ! un poignard !...
4 10 00 Le couteau Crayons de couleurs 17x21 cms |
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