Dès le début des années 2000, oeuvres exécutées d'après le livre de Gustave Flaubert, "La tentation de Saint-Antoine.
Cette partie du blog présente les peintures à l'huile faite sur ce sujet avec une courte description du contexte littéraire suivie des dialogues écrits par Flaubert intercalés par les dessins et gouaches qui ont précédé cette peinture.
Dans la basilique 2003 Huile sur toile 7 tableaux de 114x146cms |
« Dans la basilique » est le premier polyptyque fait d’après le livre de Flaubert. Il
correspond à un passage très long dans lequel interviennent un grand nombre d’acteurs
dans des décors qui changent souvent.
Le tableau est composé à l’origine de neuf peintures qui devaient être présentées en trois séries de trois superposées. Il a été exposé ainsi, il y a une dizaine d’années puis de la manière présentée plus haut, au musée de Clamart.
Le tableau est composé à l’origine de neuf peintures qui devaient être présentées en trois séries de trois superposées. Il a été exposé ainsi, il y a une dizaine d’années puis de la manière présentée plus haut, au musée de Clamart.
Accrochage au musée de Clamart 2005 114x1050cms |
Et Antoine voit devant
lui une basilique immense.
La lumière se projette du fond, merveilleuse comme serait un
soleil multicolore. Elle éclaire les têtes innombrables de la foule qui emplit
la nef et reflue entre les colonnes, vers les bas-côtés, - où l'on distingue
dans des compartiments de bois, des autels, des lits, des chaînettes de petites
pierres bleues, et des constellations peintes sur les murs.
Au milieu de la foule, des groupes, ça et là, stationnent. Des
hommes, debout sur des escabeaux, haranguent le doigt levé ; d'autres prient
les bras en croix, sont couchés par terre, chantent des hymnes, ou boivent du
vin ; autour d'une table, des fidèles font des agapes ; des martyrs
démaillotent leurs membres pour montrer leurs blessures ; des vieillards,
appuyés sur des bâtons, racontent leurs voyages.
(...) Hilarion s'avance au milieu d'eux. Tous le saluent.
Antoine, en se serrant contre son épaule, les observe. Il remarque beaucoup de
femmes. Plusieurs sont habillées en hommes, avec les cheveux ras ; il en a
peur.
HILARION
Ce sont des chrétiennes qui ont converti leurs
maris. D'ailleurs les femmes sont toujours pour Jésus, même les idolâtres,
témoin Procula l'épouse de Pilate, et Poppée la concubine de Néron. Ne tremble
plus! Avance!
Femmes et idolâtres 8/3/01 Gouache 30x36cms |
Et il en arrive d'autres,
continuellement.
Ils se multiplient, se
dédoublent, légers comme des ombres, tout en faisant une grande clameur où se
mêlent des hurlements de rage, des cris d'amour, des cantiques et des
objurgations.
ANTOINE
à voix basse :
Que veulent-ils ?
HILARION
Le Seigneur a dit "j'aurais encore à vous
parler de bien des choses." Ils possèdent ces choses.
Manès 4/1/01 Crayons 17x21cms |
Et il le pousse vers un trône d'or à cinq marches où, entouré de
quatre-vingt-quinze disciples, tous frottés d'huile, maigres et très pâles, siège
le prophète Manès, - beau comme un archange, immobile comme une statue, portant
une robe indienne, des escarboucles dans ses cheveux nattés, à sa main gauche
un livre d'images peintes, et sous sa droite un globe. Les images représentent
les créatures qui sommeillaient dans le chaos. Antoine se penche pour les voir.
Puis,
MANÈS
fait tourner son globe ; et réglant ses paroles sur une lyre
d'où s'échappent des sons cristallins :
La terre céleste est à l'extrémité supérieure,
la terre mortelle à l'extrémité inférieure. Elle est soutenue par deux anges,
le Splenditenens et l'Omophore à six visages.
(...)
Les âmes sorties de ce monde émigrent vers les
astres qui sont des êtres animés.
ANTOINE
se met à rire.
Ah ! Ah ! Quelle absurde imagination !
UN HOMME
sans barbe et d'apparence austère :
En quoi ?
Antoine va répondre. Mais
Hilarion lui dit tout bas que cet homme est l'immense Origène ; et
MANÈS
reprend :
D'abord elles s'arrêtent dans la lune, où
elles se purifient. Ensuite elles montent dans le soleil.
ANTOINE
lentement :
Je ne connais rien...qui nous empêche...de le
croire.
MANES
Le but de toute créature est la délivrance du
rayon céleste enfermé dans la matière. Il s'en échappe plus facilement par les
parfums, les épices, l'arôme du vin cuit, les choses légères qui ressemblent à
des pensées. Mais les actes de la vie l'y retiennent. Le meurtrier renaîtra
dans le corps d'un célèphe, celui qui tue un animal deviendra cet animal ; si
tu plantes une vigne, tu seras lié à ses rameaux. La nourriture en absorbe.
Donc, privez-vous ! jeûnez !
HILARION
Ils sont tempérants comme tu vois !
MANES
Il y en a beaucoup dans les viandes, moins
dans les herbes. D'ailleurs les Purs, grâce à leurs mérites, dépouillent les
végétaux de cette partie lumineuse et elle remonte à son foyer. Les animaux,
par la génération, l'emprisonnent dans la chair. Donc, fuyez les femmes !
HILARION
Admire leur continence !
MANES
Ou plutôt, faites si bien qu'elles ne soient
pas fécondes. - Mieux vaut pour l'âme tomber sur la terre que de languir dans
les entraves charnelles !
ANTOINE
Ah ! l'abomination !
HILARION
Qu'importe la hiérarchie des turpitudes ?
L'église a bien fait du mariage un sacrement !
Saturnin, Antoine, Cerdon... 2001 Gravure 14x18cms |
SATURNIEN
en costume de Syrie :
Il propage un ordre de choses funestes ! Le
Père, pour punir les anges révoltés, leur ordonna de créer le monde. Le Christ
est venu, afin que le Dieu des Juifs qui était un de ses anges...
ANTOINE
Un ange ? lui ! le Créateur !
Saturnin, Antoine, Cerdon, Marcion, St Clément d'Alexandrie 27/3/01 Gouache 50x65cms |
CERDON
N'a-t-il pas voulu tuer Moïse, trompé ses
prophètes, séduit les peuples, répandu le mensonge et l'idolâtrie ?
MARCION
Certainement, le créateur n'est pas le vrai
Dieu !
SAINT CLEMENT D'ALEXANDRIE
La matière est éternelle !
BARDENASE
en mage de Babylone :
Elle a été formée par les Sept Esprits
planétaires.
Les Herniens 1/3/01 Gouache 30x36cms |
LES HERNIENS
Les anges ont fait les âmes !
LES PRISCILLIANIENS
C'est le Diable qui a fait le monde !
ANTOINE
se rejette en arrière :
Horreur !
Bardenase, Herniens, Priscillianiens, St Antoine horrifié 4/1/01 Crayos 17x21cms |
HILARION
le soutenant :
Tu te désespères trop vite ! Tu comprends mal
leur doctrine ! En voici un qui a reçu la sienne de Théodas, l'ami de saint
Paul. Ecoute-le !
Et sur un signe d'Hilarion
VALENTIN
en tunique de toile d'argent, la voix sifflante et le crâne
pointu :
Le monde est l'oeuvre d'un Dieu en délire.
ANTOINE
baisse la tête.
L'oeuvre d'un Dieu en délire !...
Après un long silence :
Comment cela ?
VALENTIN
Le plus parfait des êtres, des Eons, l'Abîme,
reposait au sein de la Profondeur avec la pensée. De leur union sortit
l'Intelligence, qui eut pour compagne la Vérité.
La
Vérité et l'Intelligence engendrèrent le Verbe et la Vie, qui à leur tour,
engendrèrent l'Homme et l'Eglise ; - et cela fait huit Eons!
(...)
Acharamoth, un jour, parvenant à la région la
plus haute, se joindra au Sauveur ; le feu caché dans le monde anéantira toute
matière, se dévorera lui-même, et les hommes devenus de purs esprits,
épouseront des anges !
ORIGÈNE
Alors le Démon sera vaincu, et le règne de
Dieu commencera !
Antoine retient un cri ;
et aussitôt
BASILIDE
le prenant par le coude :
L'Être suprême avec les émanations infinies
s'appelle Abraxas, et le Sauveur avec toutes ses vertus Kaulakau, autrement
ligne-sur-ligne, rectitude-sur-rectitude.
On obtient la force de Kaulakau par le secours
de certains mots, inscrits sur cette calcédoine pour faciliter la mémoire.
Et il montre à son cou une petite pierre où sont gravées des
lignes bizarres.
La pierre Kaulakau 2001 Gravure 14x18cms |
Alors tu seras transporté dans l'Invisible ;
et supérieur à la loi, tu mépriseras tout, même la vertu !
Nous autres, les purs, nous devons fuir la
douleur, d'après l'exemple de Kaulakau.
ANTOINE
Comment ! et la croix ?
LES ELKHESAÏTES
en robes d'hyacinthe, lui répondent :
La tristesse, la bassesse, la condamnation et
l'oppression de mes pères sont effacées, grâce à la mission qui est venue !
Elkhesaïtes 19/2/01 Gouache 30x36cms |
On
peut renier le Christ inférieur, l'homme-Jésus ; mais il faut adorer l'autre
Christ, éclos dans sa personne sous l'aile de la Colombe.
Honorez
le mariage ! Le Saint-Esprit est féminin !
Hilarion a disparu ; et
Antoine poussé par la foule arrive devant.
Dans la basilique (détail) 114x145cms Huile sur toile 2003 |
LES CARPOCRATIENS
étendus avec des femmes sur des coussins d'écarlate :
Avant de rentrer dans l'Unique, tu passeras
par une série de conditions et d'actions. Pour t'affranchir des ténèbres,
accomplis, dès maintenant, leurs oeuvres ! L'époux va dire à l'épouse :
"Fais la charité à ton frère" et elle te baisera.
LES NICOLAÏTES
assemblés autour d'un mets qui fume :
C'est de la viande offerte aux idoles ;
prends-en ! L'apostasie est permise quand le coeur est pur. Gorge ta chair de
ce qu'elle demande. Tâche de l'exterminer à force de débauches ! Prounikos, la
mère du ciel, s'est vautrée dans les ignominies.
LES MARCOSIENS
avec des anneaux d'or, et ruisselants de baume :
Entre chez nous pour t'unir à l'Esprit ! Entre
chez nous pour boire l'immortalité !
Sur le lit des Marcosiens, deux amants s'embrassent 11/5/01 Gouache 50x65cms |
Et l'un d'eux lui montre, derrière une tapisserie, le corps d'un
homme terminé par une tête d'âne. Cela représente Sabaoth, père du Diable. En
marque de haine, il crache dessus.
Un autre découvre un lit
très bas, jonché de fleurs, en disant que
Les noces spirituelles vont s'accomplir,
Un troisième tient une
coupe de verre, fait une invocation ; du sang y paraît :
Ah ! le voila ! le voila ! le sang du Christ !
Antoine s'écarte. Mais il
est éclaboussé par l'eau qui saute d'une cuve.
Dans la basique (détail) Huile sur toile |
LES HELVIDIENS
s'y jettent la tête en bas, en marmottant :
L'homme régénéré par le baptême est impeccable
!
Puis il passe près d'un grand feu, où
se chauffent des Adamites, complètement nus pour imiter la pureté du paradis ;
et il se heurte aux
MESSALIENS
vautrés sur des dalles, à moitié endormis, stupides :
Oh ! écrase-nous si tu veux, nous ne bougerons
pas ! Le travail est un péché, toute occupation mauvaise !
Derrière ceux-là, les
abjects
PATERNIENS
hommes, femmes et enfants, pêle-mêle sur un tas d'ordures,
relèvent leurs faces hideuses barbouillées de vin :
Les parties inférieures du corps faites par le
Diable lui appartiennent. Buvons, mangeons, forniquons !
AETIUS
Les crimes sont des besoins au-dessous du
regard de Dieu !
Mais tout à coup
UN HOMME
vêtu d'un manteau carthaginois, bondit au milieu d'eux, avec un
paquet de lanières à la main ; et frappant au hasard de droite et de gauche,
violemment :
Ah ! imposteurs, brigands, simoniaques,
hérétiques et démons ! la vermine des écoles, la lie de l'enfer ! Celui-là,
Marcion, c'est un matelot de Sinope excommunié pour inceste ; on a banni
Carpocras comme magicien ; Aetius a volé sa concubine, Nicolas prostitué sa
femme ; et Manès qui se fait appeler Bouddha et qui se nomme Cubricus, fut
écorché vif avec une pointe de roseau, si bien que sa peau tannée se balance
aux portes de Ctésiphon !
ANTOINE
a reconnu Tertullien, et s'élance pour le rejoindre
Maître ! à moi ! à moi !
TERTULLIEN
continuant :
Brisez
les images ! voilez les vierges ! Priez, jeûnez, pleurez, mortifiez-vous ! Pas
de philosophie ! pas de livres ! après Jésus, la science est inutile !
Tous ont fui ; et Antoine voit, à la place Tertullien, une femme
assise sur un banc de pierre.
Elle sanglote, la tête appuyée sur une colonne, les cheveux
pendants, le corps affaissé dans une longue simarre brune.
Puis, ils se trouvent
l’un près de l’autre, loin de la foule ; _ et un silence, un apaisement
extraordinaire s’est fait, comme dans les bois, quand le vent s’arrête et que
les feuilles tout à coup ne remuent plus.
Cette femme est très
belle, flétrie pourtant et d’une pâleur de sépulcre. Ils se regardent ; et
leurs yeux s’envoient comme un flot de pensées, mille choses anciennes,
confuses et profondes. Enfin,
PRISCILLA
se met à dire :
J’étais dans la dernière chambre des bains, et
je m’endormais au bourdonnement des rues.
Tous à coup, j’entendis des clameurs. On
criait : « C’est un magicien ! c’est le Diable ! » Et
la foule s’arrêta devant notre maison, en face du temple d’Esculape. Je me
haussai avec les poignets jusqu’à la hauteur du soupirail.
Sur le péristyle du temple, il y avait un
homme qui portait un carcan de fer à son cou. Il prenait des charbons dans un
réchaud, et il s’en faisait sur la poitrine de larges trainées, en appelant
« Jésus ! Jésus ! » Le peuple disait : « Cela
n’est pas permis ! lapidons-le ! » Lui, il continuait. C’était
des choses inouïes, transportantes. Des fleurs larges comme le soleil tournaient
devant mes yeux, et j’entendais dans les espaces des harpes d’or vibrer. Le
jour tomba. Mes bras lâchèrent les barreaux, mon corps défaillit, et quand il
m’eut emmenée à sa maison…
ANTOINE
De qui donc parles-tu ?
PRISCILLA
Mais, de Montanus !
ANTOINE
Il
est mort, Montanus.
PRISCILLA
Ce
n’est pas vrai !
UNE VOIX
Non,
Montanus n’est pas mort !
Antoine se
retourne ; et près de lui, de l’autre côté, sur le banc, une seconde femme
est assise, - blonde celle-là, et encore plus pâle, avec des bouffissures sous
les paupières comme si elle avait longtemps pleuré. Sans qu’il l’interroge,
elle dit :
MAXIMILLA
Nous revenions de Tarse par les montagnes,
lorsqu’à un détour du chemin, nous vîmes un homme sous un figuier.
Il cria de loin :
« Arrêtez-vous ! » et il se précipita en nous injuriant. Les
esclaves accoururent. Il éclata de rire. Les chevaux se cabrèrent. Les molosses
hurlaient tous.
Il était debout. La sueur coulait sur son
visage. Le vent faisait claquait son manteau.
En nous appelant par nos noms, il nous
reprochait la vanité de nos œuvres, l’infamie de nos corps ; - et il
levait le poing du côté des dromadaires, à cause des clochettes d’argent qu’ils
portent sous la mâchoire.
Sa fureur me versait l’épouvante dans les
entrailles ; c’était pourtant comme une volupté qui me berçait, m’enivrait.
D’abord, les esclaves s’approchèrent.
« Maître, dirent-ils, nos bêtes sont fatiguées » ; puis ce
furent les femmes : « Nous avons peur », et les esclaves s’en
allèrent. Puis, les enfants se mirent à pleurer : « Nous avons
faim ! » Et comme on n’avait pas répondu aux femmes, elles
disparurent.
Lui, il parlait. Je sentis quelqu’un près de
moi. C’était l’époux ; j’écoutais l’autre. Il se traîna parmi les pierres
en s’écriant « Tu m’abandonnes ? » et je répondis :
« Oui ! va-t’en ! » - afin d’accompagner Montanus.
ANTOINE
Un eunuque !
PRISCILLA
Ah !
cela t’étonne, cœur grossier ! Cependant Madeleine, Jeanne, Marthe et
Suzanne n’entraient pas dans la couche du Sauveur. Les âmes, mieux que le
corps, peuvent s’étreindre avec délire. Pour conserver impunément Eustolie,
Léonce l’évêque se mutila, aimant mieux son amour que sa virilité. Et puis, ce
n’est pas ma faute ; un esprit m’y contraint ; Sotas n’a pu me
guérir. Il est cruel, pourtant ! Qu’importe ! Je suis la dernière des
prophétesses ; et après moi, la fin du monde viendra.
MAXIMILLA
Il m‘a comblée de ses dons. Aucune d’ailleurs
ne l’aime autant, - et n’en est plus aimée !
Maximlia et Priscilla 29/4/01 Crayons 17x21cms |
PRISCILLA
Tu mens ! c’est moi !
Elles se battent.
Entre leurs épaules paraît la tête d’un nègre.
MONTANUS
couvert d’un manteau noir, fermé par deux os de mort :
Apaisez-vous, mes colombes ! Incapable du
bonheur terrestre, nous sommes par cette union dans la plénitude spirituelle.
Après l’âge du Père, l’âge du Fils ; et j’inaugure le troisième, celui du
Paraclet. Sa lumière m’est venue durant les quarante nuits que la Jérusalem
céleste a brillé dans le firmament, au dessus de ma maison, à Pepuza.
Ah ! comme vous criez d’angoisse quand
les lanières vous flagellent ! comme vos membres endoloris se présentent à
mes ardeurs ! comme vous languissez sur ma poitrine, d’un irréalisable
amour ! Il est si fort qu’il vous a découvert des mondes, et vous pouvez
maintenant apercevoir les âmes avec vos yeux.
Antoine fait un geste
d’étonnement.
TERTULLIEN
revenu près de Montanus :
Sans doute, puisque l’âme a un corps, - ce qui
n’a point de corps n’existant pas.
MONTANUS
Pour la rendre plus subtile, j’ai institué des
mortifications nombreuses, trois carêmes par an, et pour chaque nuit des
prières où l’on ferme la bouche, - de peur que l’haleine en s’échappent ne
ternisse la pensée. Il faut s’abstenir des secondes noces, ou plutôt de tout
mariage ! Les anges ont péché avec les femmes.
LES ARCHONTIQUES
en cilices de crins :
Le Sauveur a dit : « Je suis venu
pour détruire l’œuvre de la femme. »
LES TATIANIENS
en cilices de jonc :
L’arbre du mal, c’est elle ! Les habits
de peau sont notre corps.
Et avançant toujours du
même côté, Antoine rencontre
LES VALÉSIENS
Les Valésiens râlent 2002 Gravure 14x18cms |
étendus par terre, avec des plaques rouges au bas du ventre,
sous leur tunique.
Ils lui présentent un
couteau :
Fais comme Origène et comme nous ! Est-ce
la douleur que tu crains, lâche ? Est-ce l’amour de ta chair qui te
retient, hypocrite ?
Les Valésiens râlent 27/4/01 Crayons 17x21cms |
LES CAÏNITES
les cheveux noués par une vipère, passent près de lui, en
vociférant à son oreille :
Gloire à Caïn ! gloire à Sodome !
gloire à Judas !
Caïn fit la race des forts. Sodome épouvanta
la terre avec son châtiment ; et c’est par Judas que Dieu sauva le
monde ! Oui, Judas ! sans lui pas de mort et pas de rédemption !
Ils disparaissent sous la
horde des
CIRCONCELLIONS
vêtus de peaux de loup, couronnés d’épines, et portant des
massues de fer :
Écrasez le fruit ! troublez la
source ! noyez l’enfant ! Pillez le riche qui se trouve heureux, qui
mange beaucoup ! Battez le pauvre qui envie la housse de l’âne, le repas
du chien, le nid de l’oiseau, et qui se désole parce que les autres ne sont pas
des misérables comme lui.
Les Circoncellions s'entrégorgent 26/4/01 Crayons 17x21cms |
Nous,
les Saints, pour hâter la fin du monde, nous emprisonnons, brûlons,
massacrons !
Le salut n’est que dans le martyre. Nous nous
donnons le martyre. Nous enlevons avec des tenailles la peau de nos têtes, nous
étalons nos membres sous les charrues, nous nous jetons dans la gueule des
fours !
Honni le
baptême ! honnie l’eucharistie ! honni le mariage ! damnation
universelle !
Alors, dans toute la basilique, c’est un redoublement de
fureurs.
Les Audiens tirent des
flèches contre le Diable ; les Collyridiens lancent au plafond des voiles
bleus ; les Ascites se prosternent devant une outre ; les Marcionites
baptisent un mort avec de l’huile. Auprès d’Apelle, une femme, pour expliquer
mieux son idée, fait voir un pain rond dans une bouteille ; une autre, au
milieu des Sampséens, distribue, comme une hostie, la poussière de ses
sandales. Sur le lit des Marcosiens jonché de roses, deux amants s’embrassent.
Les Circoncellions s’entr’égorgent, les Valésiens râlent, Bardenase chante,
Carpocras danse, Maximilla et Priscilla poussent des gémissements
sonores ; - et la fausse prophétesse de Cappadoce, toute nue, accoudée sur
un lion et secouant trois flambeaux, hurle l’Invocation-Terrible.
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