lundi 6 janvier 2003


Dès le début des années 2000, oeuvres exécutées d'après le livre de Gustave Flaubert, "La tentation de Saint-Antoine. 
Cette partie du blog présente les peintures à l'huile faite sur ce sujet avec une courte description du contexte littéraire suivie des dialogues écrits par Flaubert intercalés par les dessins et gouaches qui ont précédé cette peinture.





Dans la basilique  2003   Huile sur toile   7 tableaux de 114x146cms





« Dans la basilique » est le premier polyptyque fait d’après le livre de Flaubert. Il correspond à un passage très long dans lequel interviennent un grand nombre d’acteurs dans des décors qui changent souvent.
Le tableau est composé à l’origine de neuf peintures qui devaient être présentées en trois séries de trois superposées. Il a été exposé ainsi, il y a une dizaine d’années puis de la manière présentée plus haut, au musée de Clamart. 





Accrochage au musée de Clamart  2005  114x1050cms



 Et Antoine voit devant lui une basilique immense.
La lumière se projette du fond, merveilleuse comme serait un soleil multicolore. Elle éclaire les têtes innombrables de la foule qui emplit la nef et reflue entre les colonnes, vers les bas-côtés, - où l'on distingue dans des compartiments de bois, des autels, des lits, des chaînettes de petites pierres bleues, et des constellations peintes sur les murs.
Au milieu de la foule, des groupes, ça et là, stationnent. Des hommes, debout sur des escabeaux, haranguent le doigt levé ; d'autres prient les bras en croix, sont couchés par terre, chantent des hymnes, ou boivent du vin ; autour d'une table, des fidèles font des agapes ; des martyrs démaillotent leurs membres pour montrer leurs blessures ; des vieillards, appuyés sur des bâtons, racontent leurs voyages.
(...) Hilarion s'avance au milieu d'eux. Tous le saluent. Antoine, en se serrant contre son épaule, les observe. Il remarque beaucoup de femmes. Plusieurs sont habillées en hommes, avec les cheveux ras ; il en a peur.

HILARION

 Ce sont des chrétiennes qui ont converti leurs maris. D'ailleurs les femmes sont toujours pour Jésus, même les idolâtres, témoin Procula l'épouse de Pilate, et Poppée la concubine de Néron. Ne tremble plus! Avance!


Femmes et idolâtres   8/3/01   Gouache   30x36cms



 Et il en arrive d'autres, continuellement.
 Ils se multiplient, se dédoublent, légers comme des ombres, tout en faisant une grande clameur où se mêlent des hurlements de rage, des cris d'amour, des cantiques et des objurgations.

ANTOINE
à voix basse :

 Que veulent-ils ?

HILARION

 Le Seigneur a dit "j'aurais encore à vous parler de bien des choses." Ils possèdent ces choses.




Manès   4/1/01  Crayons   17x21cms



Et il le pousse vers un trône d'or à cinq marches où, entouré de quatre-vingt-quinze disciples, tous frottés d'huile, maigres et très pâles, siège le prophète Manès, - beau comme un archange, immobile comme une statue, portant une robe indienne, des escarboucles dans ses cheveux nattés, à sa main gauche un livre d'images peintes, et sous sa droite un globe. Les images représentent les créatures qui sommeillaient dans le chaos. Antoine se penche pour les voir. Puis,

MANÈS

fait tourner son globe ; et réglant ses paroles sur une lyre d'où s'échappent des sons cristallins : 

 La terre céleste est à l'extrémité supérieure, la terre mortelle à l'extrémité inférieure. Elle est soutenue par deux anges, le Splenditenens et l'Omophore à six visages.
(...)
 Les âmes sorties de ce monde émigrent vers les astres qui sont des êtres animés.

ANTOINE
se met à rire.

 Ah ! Ah ! Quelle absurde imagination !

UN HOMME
sans barbe et d'apparence austère :

 En quoi ?

 Antoine va répondre. Mais Hilarion lui dit tout bas que cet homme est l'immense Origène ; et

MANÈS

reprend :

 D'abord elles s'arrêtent dans la lune, où elles se purifient. Ensuite elles montent dans le soleil.

ANTOINE
lentement :

 Je ne connais rien...qui nous empêche...de le croire.

MANES

 Le but de toute créature est la délivrance du rayon céleste enfermé dans la matière. Il s'en échappe plus facilement par les parfums, les épices, l'arôme du vin cuit, les choses légères qui ressemblent à des pensées. Mais les actes de la vie l'y retiennent. Le meurtrier renaîtra dans le corps d'un célèphe, celui qui tue un animal deviendra cet animal ; si tu plantes une vigne, tu seras lié à ses rameaux. La nourriture en absorbe. Donc, privez-vous ! jeûnez !

HILARION

 Ils sont tempérants comme tu vois !

MANES

 Il y en a beaucoup dans les viandes, moins dans les herbes. D'ailleurs les Purs, grâce à leurs mérites, dépouillent les végétaux de cette partie lumineuse et elle remonte à son foyer. Les animaux, par la génération, l'emprisonnent dans la chair. Donc, fuyez les femmes !

HILARION

 Admire leur continence !

MANES

 Ou plutôt, faites si bien qu'elles ne soient pas fécondes. - Mieux vaut pour l'âme tomber sur la terre que de languir dans les entraves charnelles !

ANTOINE

 Ah ! l'abomination !

HILARION

 Qu'importe la hiérarchie des turpitudes ? L'église a bien fait du mariage un sacrement !



Saturnin, Antoine, Cerdon...   2001   Gravure   14x18cms



SATURNIEN
en costume de Syrie :

 Il propage un ordre de choses funestes ! Le Père, pour punir les anges révoltés, leur ordonna de créer le monde. Le Christ est venu, afin que le Dieu des Juifs qui était un de ses anges...

ANTOINE

 Un ange ? lui ! le Créateur !




Saturnin, Antoine, Cerdon, Marcion, St Clément d'Alexandrie
27/3/01   Gouache   50x65cms



CERDON

 N'a-t-il pas voulu tuer Moïse, trompé ses prophètes, séduit les peuples, répandu le mensonge et l'idolâtrie ?

MARCION

 Certainement, le créateur n'est pas le vrai Dieu !


SAINT CLEMENT D'ALEXANDRIE

 La matière est éternelle !

BARDENASE 
en mage de Babylone : 

 Elle a été formée par les Sept Esprits planétaires.






Les Herniens   1/3/01   Gouache   30x36cms



LES HERNIENS

 Les anges ont fait les âmes !


LES PRISCILLIANIENS

 C'est le Diable qui a fait le monde !

ANTOINE
se rejette en arrière : 

 Horreur !



Bardenase, Herniens, Priscillianiens, St Antoine horrifié
4/1/01   Crayos   17x21cms



HILARION
le soutenant :

 Tu te désespères trop vite ! Tu comprends mal leur doctrine ! En voici un qui a reçu la sienne de Théodas, l'ami de saint Paul. Ecoute-le !

Et sur un signe d'Hilarion
VALENTIN
en tunique de toile d'argent, la voix sifflante et le crâne pointu :

 Le monde est l'oeuvre d'un Dieu en délire.

ANTOINE
baisse la tête.

 L'oeuvre d'un Dieu en délire !...

Après un long silence :

 Comment cela ?

VALENTIN

 Le plus parfait des êtres, des Eons, l'Abîme, reposait au sein de la Profondeur avec la pensée. De leur union sortit l'Intelligence, qui eut pour compagne la Vérité.
La Vérité et l'Intelligence engendrèrent le Verbe et la Vie, qui à leur tour, engendrèrent l'Homme et l'Eglise ; - et cela fait huit Eons!

(...)

 Acharamoth, un jour, parvenant à la région la plus haute, se joindra au Sauveur ; le feu caché dans le monde anéantira toute matière, se dévorera lui-même, et les hommes devenus de purs esprits, épouseront des anges !

ORIGÈNE

 Alors le Démon sera vaincu, et le règne de Dieu commencera !

 Antoine retient un cri ; et aussitôt

BASILIDE
le prenant par le coude : 

 L'Être suprême avec les émanations infinies s'appelle Abraxas, et le Sauveur avec toutes ses vertus Kaulakau, autrement ligne-sur-ligne, rectitude-sur-rectitude.

 On obtient la force de Kaulakau par le secours de certains mots, inscrits sur cette calcédoine pour faciliter la mémoire.

Et il montre à son cou une petite pierre où sont gravées des lignes bizarres.




La pierre Kaulakau   2001   Gravure   14x18cms



 Alors tu seras transporté dans l'Invisible ; et supérieur à la loi, tu mépriseras tout, même la vertu !
 Nous autres, les purs, nous devons fuir la douleur, d'après l'exemple de Kaulakau.


ANTOINE


 Comment ! et la croix ?


LES ELKHESAÏTES

en robes d'hyacinthe, lui répondent :

 La tristesse, la bassesse, la condamnation et l'oppression de mes pères sont effacées, grâce à la mission qui est venue !




Elkhesaïtes   19/2/01   Gouache   30x36cms



On peut renier le Christ inférieur, l'homme-Jésus ; mais il faut adorer l'autre Christ, éclos dans sa personne sous l'aile de la Colombe.
Honorez le mariage ! Le Saint-Esprit est féminin !


 Hilarion a disparu ; et Antoine poussé par la foule arrive devant.




Dans la basilique (détail)   114x145cms   Huile sur toile   2003



LES CARPOCRATIENS

étendus avec des femmes sur des coussins d'écarlate :

 Avant de rentrer dans l'Unique, tu passeras par une série de conditions et d'actions. Pour t'affranchir des ténèbres, accomplis, dès maintenant, leurs oeuvres ! L'époux va dire à l'épouse : "Fais la charité à ton frère" et elle te baisera.


LES NICOLAÏTES
assemblés autour d'un mets qui fume :

 C'est de la viande offerte aux idoles ; prends-en ! L'apostasie est permise quand le coeur est pur. Gorge ta chair de ce qu'elle demande. Tâche de l'exterminer à force de débauches ! Prounikos, la mère du ciel, s'est vautrée dans les ignominies.


LES MARCOSIENS

avec des anneaux d'or, et ruisselants de baume :

 Entre chez nous pour t'unir à l'Esprit ! Entre chez nous pour boire l'immortalité !




Sur le lit des Marcosiens, deux amants s'embrassent
11/5/01   Gouache   50x65cms



Et l'un d'eux lui montre, derrière une tapisserie, le corps d'un homme terminé par une tête d'âne. Cela représente Sabaoth, père du Diable. En marque de haine, il crache dessus.
 Un autre découvre un lit très bas, jonché de fleurs, en disant que

 Les noces spirituelles vont s'accomplir,

 Un troisième tient une coupe de verre, fait une invocation ; du sang y paraît :

 Ah ! le voila ! le voila ! le sang du Christ !

 Antoine s'écarte. Mais il est éclaboussé par l'eau qui saute d'une cuve.


Dans la basique (détail)   Huile sur toile




LES HELVIDIENS


s'y jettent la tête en bas, en marmottant :

 L'homme régénéré par le baptême est impeccable !

 Puis il passe près d'un grand feu, où se chauffent des Adamites, complètement nus pour imiter la pureté du paradis ; et il se heurte aux

MESSALIENS

vautrés sur des dalles, à moitié endormis, stupides :

 Oh ! écrase-nous si tu veux, nous ne bougerons pas ! Le travail est un péché, toute occupation mauvaise !

 Derrière ceux-là, les abjects 

PATERNIENS

hommes, femmes et enfants, pêle-mêle sur un tas d'ordures, relèvent leurs faces hideuses barbouillées de vin :

 Les parties inférieures du corps faites par le Diable lui appartiennent. Buvons, mangeons, forniquons !

AETIUS

 Les crimes sont des besoins au-dessous du regard de Dieu !

 Mais tout à coup

UN HOMME

vêtu d'un manteau carthaginois, bondit au milieu d'eux, avec un paquet de lanières à la main ; et frappant au hasard de droite et de gauche, violemment :

 Ah ! imposteurs, brigands, simoniaques, hérétiques et démons ! la vermine des écoles, la lie de l'enfer ! Celui-là, Marcion, c'est un matelot de Sinope excommunié pour inceste ; on a banni Carpocras comme magicien ; Aetius a volé sa concubine, Nicolas prostitué sa femme ; et Manès qui se fait appeler Bouddha et qui se nomme Cubricus, fut écorché vif avec une pointe de roseau, si bien que sa peau tannée se balance aux portes de Ctésiphon !

ANTOINE

a reconnu Tertullien, et s'élance pour le rejoindre

 Maître ! à moi ! à moi !

TERTULLIEN

continuant :

Brisez les images ! voilez les vierges ! Priez, jeûnez, pleurez, mortifiez-vous ! Pas de philosophie ! pas de livres ! après Jésus, la science est inutile !

Tous ont fui ; et Antoine voit, à la place Tertullien, une femme assise sur un banc de pierre.
Elle sanglote, la tête appuyée sur une colonne, les cheveux pendants, le corps affaissé dans une longue simarre brune.
 Puis, ils se trouvent l’un près de l’autre, loin de la foule ; _ et un silence, un apaisement extraordinaire s’est fait, comme dans les bois, quand le vent s’arrête et que les feuilles tout à coup ne remuent plus.
 Cette femme est très belle, flétrie pourtant et d’une pâleur de sépulcre. Ils se regardent ; et leurs yeux s’envoient comme un flot de pensées, mille choses anciennes, confuses et profondes. Enfin,

PRISCILLA

se met à dire :

 J’étais dans la dernière chambre des bains, et je m’endormais au bourdonnement des rues.
 Tous à coup, j’entendis des clameurs. On criait : « C’est un magicien ! c’est le Diable ! » Et la foule s’arrêta devant notre maison, en face du temple d’Esculape. Je me haussai avec les poignets jusqu’à la hauteur du soupirail.
 Sur le péristyle du temple, il y avait un homme qui portait un carcan de fer à son cou. Il prenait des charbons dans un réchaud, et il s’en faisait sur la poitrine de larges trainées, en appelant « Jésus ! Jésus ! » Le peuple disait : « Cela n’est pas permis ! lapidons-le ! » Lui, il continuait. C’était des choses inouïes, transportantes. Des fleurs larges comme le soleil tournaient devant mes yeux, et j’entendais dans les espaces des harpes d’or vibrer. Le jour tomba. Mes bras lâchèrent les barreaux, mon corps défaillit, et quand il m’eut emmenée à sa maison…

ANTOINE

 De qui donc parles-tu ?

PRISCILLA

 Mais, de Montanus !

ANTOINE

Il est mort, Montanus.

PRISCILLA

Ce n’est pas vrai !

UNE VOIX

Non, Montanus n’est pas mort !

 Antoine se retourne ; et près de lui, de l’autre côté, sur le banc, une seconde femme est assise, - blonde celle-là, et encore plus pâle, avec des bouffissures sous les paupières comme si elle avait longtemps pleuré. Sans qu’il l’interroge, elle dit :

MAXIMILLA

 Nous revenions de Tarse par les montagnes, lorsqu’à un détour du chemin, nous vîmes un homme sous un figuier.
 Il cria de loin : « Arrêtez-vous ! » et il se précipita en nous injuriant. Les esclaves accoururent. Il éclata de rire. Les chevaux se cabrèrent. Les molosses hurlaient tous.
 Il était debout. La sueur coulait sur son visage. Le vent faisait claquait son manteau.
 En nous appelant par nos noms, il nous reprochait la vanité de nos œuvres, l’infamie de nos corps ; - et il levait le poing du côté des dromadaires, à cause des clochettes d’argent qu’ils portent sous la mâchoire.
 Sa fureur me versait l’épouvante dans les entrailles ; c’était pourtant comme une volupté qui me berçait, m’enivrait.
 D’abord, les esclaves s’approchèrent. « Maître, dirent-ils, nos bêtes sont fatiguées » ; puis ce furent les femmes : « Nous avons peur », et les esclaves s’en allèrent. Puis, les enfants se mirent à pleurer : « Nous avons faim ! » Et comme on n’avait pas répondu aux femmes, elles disparurent.
 Lui, il parlait. Je sentis quelqu’un près de moi. C’était l’époux ; j’écoutais l’autre. Il se traîna parmi les pierres en s’écriant « Tu m’abandonnes ? » et je répondis : « Oui ! va-t’en ! » - afin d’accompagner Montanus.

ANTOINE

 Un eunuque !

PRISCILLA

Ah ! cela t’étonne, cœur grossier ! Cependant Madeleine, Jeanne, Marthe et Suzanne n’entraient pas dans la couche du Sauveur. Les âmes, mieux que le corps, peuvent s’étreindre avec délire. Pour conserver impunément Eustolie, Léonce l’évêque se mutila, aimant mieux son amour que sa virilité. Et puis, ce n’est pas ma faute ; un esprit m’y contraint ; Sotas n’a pu me guérir. Il est cruel, pourtant ! Qu’importe ! Je suis la dernière des prophétesses ; et après moi, la fin du monde viendra.

MAXIMILLA

 Il m‘a comblée de ses dons. Aucune d’ailleurs ne l’aime autant, - et n’en est plus aimée !



Maximlia et Priscilla   29/4/01   Crayons   17x21cms



PRISCILLA

 Tu mens ! c’est moi !

Elles se battent.

Entre leurs épaules paraît la tête d’un nègre.

MONTANUS

couvert d’un manteau noir, fermé par deux os de mort :

 Apaisez-vous, mes colombes ! Incapable du bonheur terrestre, nous sommes par cette union dans la plénitude spirituelle. Après l’âge du Père, l’âge du Fils ; et j’inaugure le troisième, celui du Paraclet. Sa lumière m’est venue durant les quarante nuits que la Jérusalem céleste a brillé dans le firmament, au dessus de ma maison, à Pepuza.
 Ah ! comme vous criez d’angoisse quand les lanières vous flagellent ! comme vos membres endoloris se présentent à mes ardeurs ! comme vous languissez sur ma poitrine, d’un irréalisable amour ! Il est si fort qu’il vous a découvert des mondes, et vous pouvez maintenant apercevoir les âmes avec vos yeux.

 Antoine fait un geste d’étonnement.

TERTULLIEN

revenu près de Montanus :

 Sans doute, puisque l’âme a un corps, - ce qui n’a point de corps n’existant pas.

MONTANUS

 Pour la rendre plus subtile, j’ai institué des mortifications nombreuses, trois carêmes par an, et pour chaque nuit des prières où l’on ferme la bouche, - de peur que l’haleine en s’échappent ne ternisse la pensée. Il faut s’abstenir des secondes noces, ou plutôt de tout mariage ! Les anges ont péché avec les femmes.

LES ARCHONTIQUES

en cilices de crins :

 Le Sauveur a dit : « Je suis venu pour détruire l’œuvre de la femme. »

LES TATIANIENS

en cilices de jonc :

 L’arbre du mal, c’est elle ! Les habits de peau sont notre corps.

 Et avançant toujours du même côté, Antoine rencontre

LES VALÉSIENS




Les Valésiens râlent   2002   Gravure   14x18cms



étendus par terre, avec des plaques rouges au bas du ventre, sous leur tunique.
 Ils lui présentent un couteau :

 Fais comme Origène et comme nous ! Est-ce la douleur que tu crains, lâche ? Est-ce l’amour de ta chair qui te retient, hypocrite ?

 Et pendant qu’il est à les regarder se débattre, étendus sur le dos dans les mares de leur sang, 



Les Valésiens râlent   27/4/01   Crayons   17x21cms
   



LES CAÏNITES

les cheveux noués par une vipère, passent près de lui, en vociférant à son oreille :

 Gloire à Caïn ! gloire à Sodome ! gloire à Judas !
 Caïn fit la race des forts. Sodome épouvanta la terre avec son châtiment ; et c’est par Judas que Dieu sauva le monde ! Oui, Judas ! sans lui pas de mort et pas de rédemption !

 Ils disparaissent sous la horde des

CIRCONCELLIONS

vêtus de peaux de loup, couronnés d’épines, et portant des massues de fer :

 Écrasez le fruit ! troublez la source ! noyez l’enfant ! Pillez le riche qui se trouve heureux, qui mange beaucoup ! Battez le pauvre qui envie la housse de l’âne, le repas du chien, le nid de l’oiseau, et qui se désole parce que les autres ne sont pas des misérables comme lui.



Les Circoncellions s'entrégorgent   26/4/01   Crayons   17x21cms



Nous, les Saints, pour hâter la fin du monde, nous emprisonnons, brûlons, massacrons !
 Le salut n’est que dans le martyre. Nous nous donnons le martyre. Nous enlevons avec des tenailles la peau de nos têtes, nous étalons nos membres sous les charrues, nous nous jetons dans la gueule des fours !
Honni le baptême ! honnie l’eucharistie ! honni le mariage ! damnation universelle ! 




Alors, dans toute la basilique, c’est un redoublement de fureurs.
 Les Audiens tirent des flèches contre le Diable ; les Collyridiens lancent au plafond des voiles bleus ; les Ascites se prosternent devant une outre ; les Marcionites baptisent un mort avec de l’huile. Auprès d’Apelle, une femme, pour expliquer mieux son idée, fait voir un pain rond dans une bouteille ; une autre, au milieu des Sampséens, distribue, comme une hostie, la poussière de ses sandales. Sur le lit des Marcosiens jonché de roses, deux amants s’embrassent. Les Circoncellions s’entr’égorgent, les Valésiens râlent, Bardenase chante, Carpocras danse, Maximilla et Priscilla poussent des gémissements sonores ; - et la fausse prophétesse de Cappadoce, toute nue, accoudée sur un lion et secouant trois flambeaux, hurle l’Invocation-Terrible.